Cette vidéo provient d'une série télévisée, L'ultime Karatédo, que j'ai écrit et co-animé en 1994. Voici l'approche de goshin jutsu que j'ai toujours enseigné dans mes dojos depuis que je pratique le Karaté depuis 1971.
Le Karaté, qu’on appelle de la « vieille école » n’était pas orienté seulement vers les techniques de frappes. Par exemple, dans les katas on retrouve en plus des coups frappés, des fauchages, des projections, des étranglements, des clés articulaires, etc.
Dans la vieille école, on enseignait les katas comme un aide-mémoire de stratégies, tactiques et techniques d’autodéfense. Si on te faisait confiance, on te donnait les clés pour connaître ces techniques plus ou moins ésotériques. Sinon, on te faisait pratiquer les mouvements seulement au niveau exotérique et éventuellement on te donnait certaines clés pour décoder ces mouvements.
L’efficacité versus la popularité
L’objectif de la « vieille école » était l’autodéfense, l’efficacité, le réalisme et l’apprentissage d’une discipline (une voie) pour se dépasser, se réaliser. Le fait d’être en forme n’était qu’un effet secondaire et particulièrement orienté pour une meilleure efficacité. Il n’y avait pas de méthode de marketing, car le but n’était pas de grossir son école ou d’avoir un mur de trophée, mais de partager l’amour de l’art. Certes, dans la vieille école, les coups de pied n’étaient pas aussi développés qu’aujourd’hui. La raison est fort simple, il n’était nullement nécessaire pour bien se défendre. Vous n’avez qu’à regarder sur YouTube comment certains boxeurs peuvent éliminer 3-4 adversaires avec que deux ou trois techniques de poing.
La dilution du Karaté
La suppression de techniques dites « dangereuses » a été amorcée par la « nouvelle école de Karaté » orienté vers l’aspect sportif. Plusieurs maitres et instructeurs ont réussi à naviguer entre les deux, d’autres disciples ont plutôt décidé de quitter leurs instructeurs pour se concentrer uniquement sur la dimension sportive. Ils ont façonné un « Karaté sportif » où l’objectif principal est d’être en forme, et les techniques sont plutôt orientées vers les règles de la compétition sportive. Oui, plusieurs vont promouvoir l’aspect autodéfense pour attirer une clientèle cible, mais l’entrainement est peu orienté vers celle-ci et les techniques manque de réalisme. Pour ceux et celles qui n’étaient pas intéressés à la compétition, on leur vendait l’aspect « mise en forme ». Pour les jeunes on leur a vendu l’aspect du sport et la promesse d’un sport olympique. Ce qui est vendeur pour grossir une école.
La compétition sportive comme outils de marketing
L’aspect sportif s’est peu à peu transformé en outil de marketing. Le combat et les katas sont devenus des outils de compétitions. Alors, pourquoi avoir besoin de toutes ces techniques qui ne servent pas en compétition ? Pourquoi expliquer que dans les katas il y a des bunkai quand cela n’a strictement aucune importance dans les compétitions ? Le résultat est que les combats et les katas sont pratiqués beaucoup plus au point de vue de l’esthétisme que du réalisme. Il y a même certains styles de karaté sportif où les participants inventent leurs katas et leurs mouvements sont plus inspirés par les films d’Hollywood et du Cirque du Soleil que du réel karaté.
Certains pourraient me dire : « Gaëtan, est-ce que nous devrions éliminer la compétition sportive et revenir à l’ancien karaté traditionnel ? » Non, pas du tout. La compétition sportive a aussi ses avantages pour les 10 ou 20 % qui ont la capacité d’y participer. Mais elle n’est une infime partie de ce qu’est le Karaté budo. Je paraphrase mon ami Shihan Dmitry Alekhnovich, « la compétition est comme la partie marketing d’une grosse manufacture. Nous en avons besoin, mais ce n’est qu’un petit département parmi les autres. Tout le monde ne peut pas travailler uniquement dans ce département. »
Le problème n’est pas la compétition, il est dans ceux qui croient que tout le reste, dont la notion d’autodéfense et la pratique des bunkai dans les katas, est rendu désuet et ne mérite plus qu’on l’enseigne. Et ceux qui ne participent aucunement aux compétitions, mais qui enseignent quand même un karaté moderne orienté uniquement que sur l’aspect sportif en salle.
Reculer un pas pour pouvoir avancer
Shihan Dmitry, me disait récemment que beaucoup de dirigeants de notre fédération partagent aussi cette perspective et ils font une démarche pour enseigner à nouveau un karaté budo beaucoup plus complet. Il a cité un autre de mes amis, Shihan Eddy Gabathuler qui lui a dit qu’avec cette démarche, nous faisons en quelque sorte un pas en arrière. J’ai bien aimé cette métaphore.
Oui, je crois que ce pas en arrière est essentiel pour que nous puissions avancer plusieurs pas vers l’avant. Car, retourner vers les racines de notre passé ne peut que nous rendre plus forts. Combien de fois entendez-vous des maitres vous répéter de revenir à la base ?
La vieille et nouvelle école peut parfaitement cohabiter
Heureusement, je réalise qu’il y a une quantité de personnes qui pense de la même manière que moi. Je n’ai pas de mérite, car j’ai commencé à la vieille école et j’ai connu la nouvelle école (je pratique le karaté depuis plus de 50 ans). J’ai toujours cru que les deux pouvaient cohabiter. Et j’ai pu voir que cela est possible quand j’ai travaillé pendant 5 ans (4-5 jours semaine) comme portier dans une discothèque la nuit, tout en enseignant le Karaté budo (5-6 jours semaine) et en m’entrainant pour des compétitions knockdowns, le jour. J’étais capable d’utiliser tous les outils du karaté autres que les coups frappés en situation réelle de combat et suivre les règles dans des championnats knockdown (plein contact sans protections).
Un retour vers l’essentiel
Je sens qu’il y a un mouvement mondial qui se produit où le bunkai et le goshin jutsu est de plus en plus enseignés et promulgués. Comme le voulait Sosai Masutatsu Oyama quelques années avant sa mort.
Je crois que le Karaté est composé d’exercices de conditionnement physique, de Kihon, ido geiko, renraku, kata, kumite et goshin jutsu. Et il est un style de vie et une manière d’éveiller notre guerrier intérieur qui nous aident à passer à travers de dures épreuves et obstacles que la vie va vous amener. Il est une forme de méditation en action qui nous aide à développer la pleine conscience et donner un sens à notre vie. Il nous aide à aligner notre corps-esprit dans notre champ relationnel. Il est un art que nous pouvons pratiquer jusqu’à l’âge de 80 ans et plus (s’il n’est pas pratiqué uniquement comme un sport ou souvent les athlètes l’abandonnent à cause de trop nombreuses blessures). Le karaté travaille le respect, la discipline, la confiance, la maitrise et le dépassement de soi. Peu de discipline ou de sports pouvant être pratiqués sur une période de 70 ans et plus peuvent vous donner tous ces avantages. C’est pourquoi je crois au Karaté budo et complet.
Je crois sincèrement que nous pouvons combiner la vieille et la nouvelle école de manière harmonieuse, à condition que nous percevions le Karaté comme une discipline à long terme et non comme un moyen rapide d’atteindre quelque chose, si chère à notre société de consommation et de célébrité instantanée.
Le danger du fondamentalisme et du consommateurisme dans le Karaté
On retrouve ici ce fameux combat entre les deux idéologies du fondamentalisme et du consommateurisme. Le premier concept a comme principe de ne rien toucher à la tradition et de croire aveuglément à ce qui est écrit dans le livre, sans modifier un simple iota. Au risque de se faire excommunier ou expulser de l’organisation.
Le deuxième concept est que nous devons apprendre beaucoup de choses dans une courte période, sans vraiment rien maitriser. On voit cette mentalité quand une personne veut passer sa ceinture noire rapidement pour passer à autre chose. Certains styles de karaté sportif vont orienter leurs marketings en garantissant une ceinture noire après quelques années. Comme si une ceinture avait quelque chose d’important dans la maitrise du Karaté.
Ces deux courants de pensée ont leurs failles, et c’est dans la voie du milieu que nous pouvons trouver des solutions créatives. Je reviendrai sur ce passionnant sujets du fondamentalisme versus le consumérisme que notre vie moderne a transposé dans le karaté et pourquoi la voie du milieu est beaucoup plus créative et générative.
Gaëtan Sauvé
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